Les 20 directeurs de la protection de la jeunesse (DPJ) du Québec réclament dans une lettre publique transmise au gouvernement d’être entendus lors de la commission parlementaire sur le projet de loi 15, qui modifie la Loi sur la protection de la jeunesse, et qui leur incombe d’appliquer.
Le récent dépôt du projet de loi 15 a pour but de modifier la Loi sur la protection de la jeunesse (LPJ) au Québec. Ce geste est majeur et revêt un caractère particulier en regard du principe qui veut que le bien-être et la sécurité des enfants sont une priorité au sein de notre société. La LPJ est une loi d’exception. Elle s’applique pour une minorité d’enfants et de familles au Québec, c’est-à-dire celles des enfants dont la sécurité ou le développement est compromis et qui ont besoin de protection. Comme DPJ, nous portons personnellement la responsabilité de rétablir un environnement de vie sécurisant pour ces enfants et de nous assurer de répondre à leurs besoins. En 2020-2021, globalement, 40,267 enfants ont été pris en charge par les 20 DPJ du Québec. Ce triste chiffre nous rappelle l’importance d’avoir des leviers d’intervention solides pour assurer à chaque enfant un milieu de vie permanent, sécuritaire et stable.
En tant qu’experts dans l’application de cette loi, qui a vu le jour en 1979, nous saluons favorablement le présent projet de loi et les avancées juridiques. Les changements législatifs proposés en 2021 tiennent compte de la réalité d’aujourd’hui et tendent vers une vision d’avenir ancrée davantage dans l’intérêt de l’enfant. Or, à la lumière de notre expérience des 40 dernières années, afin que les principes évoqués dans la loi soient simples et sans équivoque, et qu’ainsi cette vision d’avenir se concrétise pleinement, nous croyons que des précisions au projet de loi s’avèrent nécessaires.
D’abord, il importe de souligner que l’intérêt de l’enfant n’est pas une considération parmi tant d’autres, mais LA considération première dans l’application de la LPJ. Pour grandir, un enfant a fondamentalement besoin d’avoir une famille ou un milieu de vie substitut bienveillant, des liens significatifs et d’un environnement où il se sente en sécurité. Nos actions doivent permettre aux parents désireux de reprendre leur équilibre de pouvoir être soutenus et épaulés. Néanmoins, afin de garantir ce droit jusqu’à l’âge adulte, l’intérêt de l’enfant doit venir en premier, avant même le droit de ses parents, dans toutes les décisions qui le concernent. En ce sens, le recours à la tutelle et à l’adoption devrait être facilité dans le but de donner à l’enfant la capacité de s’enraciner de façon permanente dans une famille pour la vie. Cette volonté se doit d’être partagée avec l’ensemble des acteurs qui œuvrent auprès des familles.
Au niveau judiciaire, on ne peut pas passer sous silence l’impact immense en termes de stress sur l’enfant et sa famille que génèrent les délais judiciaires. Plus ces délais sont longs, plus le risque que leur situation s’aggrave est grand. En 2022, n’y aurait-il pas lieu de réviser les façons de faire et pratiques communes afin de créer un processus normalisant et propice au rétablissement d’un enfant en situation de vulnérabilité, où prime l’intérêt de l’enfant? Dans son ensemble, le processus judiciaire doit être facilitant, fluide et rapide pour l’enfant et sa famille. Des leviers concrets pour y parvenir méritent d’être précisés dans le projet de loi.
Nous accueillons très favorablement la nomination d’un directeur national de la protection de la jeunesse (DNPJ). Nous y voyons un rôle important de leadership provincial en appui à celui des DPJ régionaux en ce qui concerne : l’harmonisation et l’application de directives, normes et pratiques probantes; la mise en place de moyens pour garantir le respect de l’application de la loi; le rôle-conseil entre ministères et auprès des instances décisionnelles pour porter la voix des enfants les plus vulnérables.
Quant au rôle des DPJ régionaux, leur autonomie dans la prise de décision pour un enfant doit être préservée. Nous craignons que les pouvoirs conférés dans ce projet de loi au DNPJ à l’égard des DPJ régionaux puissent interférer sur cette autonomie et son indépendance. Il est primordial que la situation d’un enfant soit à l’abri de toute décision ou soubresaut politique. De ce fait, la différence entre le rôle décisionnel indépendant du DPJ en ce qui concerne la situation d’un enfant et le rôle politique du DNPJ doit être clairement établie et nommée.
En ce qui concerne les communautés autochtones et Inuit, nous appuyons la vision leur permettant de prendre soin de leurs enfants et de s’occuper de leur bien-être. Bien que nous soyons tout à fait favorables à l’ajout de la section concernant les dispositions pour ces communautés, nous nous demandons si ces dispositions, de nature plutôt clinique, sont suffisantes pour leur garantir un processus véritable vers l’autonomie au niveau décisionnel.
En termes de confidentialité et communication de renseignements, le débat autour de cette question doit impérativement se recentrer sur l’intérêt de l’enfant. La LPJ doit être claire à cet effet. Elle doit permettre la concertation entre les adultes qui gravitent autour de l’enfant afin que toutes les actions convergent pour le protéger. Protéger un enfant c’est l’affaire de tous.
En termes de transition à la vie adulte, le discours vibrant livré par de jeunes adultes à la Commission Laurent sur l’importance de reconstruire leur histoire à partir des traces écrites laissées à la suite d’un passage en protection de la jeunesse nous a grandement touchés. Les délais et modalités ajoutés en vue de la préparation à l’âge adulte sont salutaires et permettront assurément un passage plus harmonieux. Néanmoins, nous considérons essentiel que soient ajoutés certains leviers au projet de loi pour permettre une équité de traitement pour tous les jeunes qui désirent poursuivre leurs études à l’atteinte de leur majorité en assurant le soutien financier requis. De plus, il importe que le jeune devenu adulte soit bien le seul à pouvoir accéder à son dossier (son histoire de vie), afin d’éviter une dérive possible de l’utilisation des articles de loi qui manquent de précisons à cet effet.
Les principes évoqués dans le projet de loi 15 sont fort intéressants, cependant sont-ils à la hauteur des volontés exprimées? À certains égards, nous croyons que le projet de loi peut et doit aller plus loin pour permettre des leviers légaux pour qu’ils soient bénéfiques pour l’enfant, et pour être en mesure d’opérer les changements tant souhaités. Il faut se donner les moyens afin que cette occasion extraordinaire ne soit pas un rendez-vous manqué ! Nous lançons un cri du cœur comme DPJ au nom des enfants; osons aller plus loin et plus haut!
- Marie-Josée Audette, DPJ\DP, CISSS de la Montérégie-Est
- Alice Cleary, DPJ\DP, Conseil de la Nation Atikamekw
- Assunta Gallo, DPJ\DP, CIUSSS Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal
- Caroline Brown, DPJ\DP, CISSS de Chaudière-Appalaches
- Caroline Gaudreault, DPJ\DP, CIUSSS du Saguenay–Lac-Saint-Jean
- Chantal Fournier, DPJ\DP, Centre de santé Inuulitsivik
- Colette Nadeau, DPJ\DP, CISSS de l’Outaouais
- Donald Vallières, DPJ\DP, CISSS de l’Abitibi-Témiscamingue
- Jean-François Payette, DPJ\DP (intérim), CISSS de Laval
- Johanne Fleurant, DPJ\DP, CIUSSS de l’Estrie–CHUS
- Linda See, DPJ\DP, CIUSSS de l’Ouest-de-l’Île-de-Montréal
- Marlene Gallagher, DPJ\DP, CISSS de la Côte-Nord
- Marlene Kapashesit, DPJ\DP, Conseil cri de la santé et des services sociaux de la Baie-James
- Martin Careau, DPJ\DP, Centre de santé Tulattavik de l’Ungava
- Mélissa Desjardins, DPJ\DP, CISSS du Bas-Saint-Laurent
- Michelle Frenette (intérim), CISSS de la Gaspésie, DPJ\DP, Gaspésie-les Îles-de-la-Madeleine
- Myriam Briand, DPJ\DP, CISSS des Laurentides
- Patrick Corriveau, DPJ\DP, CIUSSS de la Capitale-Nationale
- Robert Levasseur, DPJ\DP, CIUSSS de la Mauricie-et-Centre-du-Québec
- Sylvie Lacoursière, DPJ\DP, CISSS de Lanaudière